La situation est inédite. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, nous n’avons disposé d’autant d’informations et jamais nous n’avons eu autant de temps libre pour y puiser loisir et connaissance du monde. Nos prédécesseurs en avaient rêvé : la science et la technologie libéreraient l'humanité. Mais ce rêve risque désormais de tourner au cauchemar. Le déferlement d’informations a entraîné une concurrence généralisée de toutes les idées, une dérégulation du « marché cognitif » qui a une fâcheuse conséquence : capter, souvent pour le pire, le précieux trésor de notre attention. Nos esprits subissent l’envoûtement des écrans et s’abandonnent aux mille visages de la déraison.

Victime d’un pillage en règle, notre esprit est au cœur d’un enjeu dont dépend notre avenir. Ce contexte inquiétant dévoile certaines des aspirations profondes de l’humanité. L’heure de la confrontation avec notre propre nature aurait-elle sonné ? De la façon dont nous réagirons dépendront les possibilités d'échapper à ce qu'il faut bien appeler une menace civilisationnelle.

Gérald Bronner est professeur de sociologie à l'Université de Paris, membre de l’Académie des technologies et de l’Académie nationale de médecine. Il a publié plusieurs ouvrages couronnés par de nombreux prix.

Gérald Bronner s'exprime en anthropologue et non en philosophe moraliste. Il pose cette hypothèse : grâce au progrès technologiques,la libération de notre temps de cerveau disponible est notre plus grande richesse.

De ce constat, il en tire aussi les limites : Ces progrès,par la surabondance d'informations qu'ils offrent, conduisent aussi à un asservissement au “marché cognitif” que forme cette surabondance.

L'auteur détaille ensuite les relations entre notre nos demandes humaines et variés qui amènent une part croissante d'entre nous à se délecter de ce marché cognitif. L'appétence pour la conflictualité, l'avarice cognitive, les soumissions aux injonctions de la visibilité sociale.

L'auteur dresse ensuite un portrait des interprétations de nos demandes sur ce marché : la misanthropie, l'être humain dénaturé·e par le système socio-économique, l'être humain soit disant révélé par ses appétences et sensé s'opposer à une élite dominante tel que décrit par un néo-populisme décomplexé.

“L'heure de la confrontation avec notre propre nature a-t-elle sonné ? De la façon dont nous réagirons dépendront les possibilités d'échapper à ce qu'il faut apeller une menace civilisationnelle”.